» Accueil
» Le sanglier du taxidermiste
Récit de chasse : le sanglier du taxidermiste
L'année 2004 commençait bien, ce dimanche quatre janvier; un froid vif, sec et pénétrant à souhait complétait parfaitement l'ambiance hivernale créée par le manteau neigeux qui disparaissait doucement.Devant moi, un paysage apocalyptique, presque sorti des ténèbres, vestige de la tempête qui a tout cassé quatre ans plutôt. Surnaturel, mais totalement transformé et adouci par la poudre blanche, un enchevêtrement d'arbres couchés, de branches, de souches et de racines, plus aucun arbre debout. Si, un seul, au loin... .
J'étais juché sur une souche sciée à quatre-vingts centimètres du sol, à trente mètres d'un virage à gauche, de l'autre côté mon ami Dédé. Sacré Dédé !
La chasse était commencée depuis un bon moment, les bruits de la traque, qui se dirigeait vers nous, ne me parvenaient pas. RIEN, comme trop souvent. Juste le froid et la neige qui, associés, me font toujours rêver. Les aboiements, soutenus mais lointains, d'un chien voisin troublaient de temps à autre mes rêveries. Indéniablement il se rapprochait et forçait un quelconque gibier vers notre chasse, sûrement un sanglier vu son ardeur.
Finis les rêves, place aux fantasmes, MERCI le chien : Une belle compagnie d'une dizaine d'animaux, bien en ligne derrière la meneuse qui ferait la trace, annoncée par des tirs manqués de la ligne de gauche et qui traverserait, devant moi la coupe atrophiée... . Le pied !
Le chien s'est tu, rêves et fantasmes sont terminés. Le froid me fait prendre conscience d'un léger vent de face, mais également de quelque chose de différent dans mon horizon, limité à une centaine de mètres. J'ai la chair de poule, sensation bizarre que d'appréhender, d'anticiper ou de deviner un mouvement... ça bouge... . Rêve ou réalité ?
Ce n'est pas de la fiction, un gros sanglier est là, un très GROS, plein travers devant l'arbre à une centaine de mètres, il bouge, il va biaiser la coupe, droit sur Le Dédé. Il avance doucement d'une dizaine de mètres, s'arrête puis repart à 90° droit sur moi. Qu'il fait chaud subitement, le monstre vient vers moi, pas de panique, il est loin, j'ai le temps. Je monte doucement mon arme à l'épaule, arrêt immédiat de l'animal, il m'a vu. C'est pas possible ça voit rien ces bêtes-là !?... Je ne sens plus le vent. Toujours aussi doucement il repart vers Le Dédé. Pas longtemps, il s'arrête encore, il donne l'impression de réfléchir. Aucun doute possible, à son allure, c'est un mâle, je me suis toujours fié à mes premières impressions. Je n'entends toujours pas la traque, a-t-il senti, vu ou entendu quelque chose? Le revoilà dans ma direction, une dizaine de mètres, mais que fait-il ? Quel étrange comportement, un véritable film se déroule devant ma lunette, je ne respire plus, les battements de mon coeur doivent se répercuter dans toute la coupe, mes bras s'anquilosent, il est à soixante mètres la tête baissée. Qu'il est gros ! Je respire comme un phoque, ma lunette s'embue, je ne bouge toujours pas, mais lui si, direction mon Dédé à vive allure, il vient de faire son choix ! Ses réflexions n'ont que trop duré, il est décidé, nous y sommes, le film va prendre fin et je n'en verrai probablement pas le dénouement.
Un îlot de végétation se trouve entre moi, mon ami et notre Sus Coffra géant. Dédé n'a donc pas pu voir le commencement du film, je dois prévenir notre vétéran. J'aurais aimé qu'on le fasse pour moi, si j'avais été à sa place.
"Attention Dédé c'est un gros, droit sur toi !"
Il se passe un temps très long, encore plus long que celui que je viens de subir, qui en réalité n'a pas duré cinq minutes.
Le silence à repris possession des lieux ! Que c'est bon de pouvoir entendre un chien au loin et d'avoir froid... . Où est passée la bête ? Et s'il avait bouffé mon Dédé ?
C'est un malin, il a peut être encore changé de direction, il est peut être parti, il va me sortir dans les pattes, il va sûrement me voir sur mon piédestal... .
Je dois descendre, doucement, faire attention à la neige, aux bruits de mes mouvements et s'il sortait au même moment, et s'il était en train de me regarder ?
Frissons... il se passe quelque chose (ça me rappelle étrangement une histoire d'ours au Québec), de toutes façons j'ai des crampes je dois bouger !
Une détonation au moment même où je mettais en action ma stratégie de descente.
A cause du virage je n'ai pu voir qu'une masse, ayant déjà parcouru quelques mètres au rembuché, prête à disparaître dans une végétation plus épaisse. Mon Dédé lui avait donné de l'élan, il me paraissait plus si gros, fini la discrétion, bonjour le bruit malgré la neige. Je ne peux pas dire que je me suis appliqué, j'ai dû lâcher une balle instinctivement, j'étais déçu, très loin du rêve, du scénario au tir facile sur une bête extraordinaire. Plus rien, le néant, ni fuite visible ou sonore, juste des bruits de traque quelque part, pas de bois cassé un sentiment d'échec et d'amertume m'envahit. J'aurais aimé me rapprocher de mon Dédé pour voir et échanger nos impressions, mais impossible, sécurité oblige.
Je remonte sur ma souche, balaie l'horizon du regard et stupeur... à l'endroit même ou quelques instants auparavant, je voyais le monstre, trois bêtes rousses, au trot, dans la trace de leur prédécesseur. Enfer et damnation, c'était une maman qui venait de sortir, le piége classique. Je n'épiloguerai pas, trop banale. L'effroi passé, j'alerte mon Dédé, mais plus personne ne les a revus, pas même les traqueurs.
Ces derniers arrivent, je les oriente facilement vers l'endroit ou j'ai tiré et vu l'animal pour la dernière fois.
POIDS : 104 KG, pas très lourd si l'on considère la taille du trophée, des défenses très impressionnantes sortant de la mâchoire de 82 mm (courbe extérieure de la dent avant cuisson) avec une table d'usure extraordinaire (68 mm), des grés proportionnellement plus imposants et démesurés 113 mm, ce qui le classerait, en apparence externe, dans les quinze meilleurs sangliers naturalisés dans mon atelier sur plusieurs centaines, tous beaux et gros.
Une fois les dents sorties, avec les critères A. N. C. G. G, le trophée n'est même pas digne de leur catalogue
. Mensurations moyennes :
- Longueur défenses : 17,4 cm
- Largeur défenses : 2,35 cm
- Circonférence grés : 7,6 cm
Certains le considérant comme trop maigre, imaginaientt facilement un rut, que neni ! Rien que six vieilles blessures découvertes tout au long des travaux de taxidermie, survenues durant sa dernière année de vie, pour ce sanglier âgé de 5/6 ans pour rester humble. La plus impressionnante : quatre côtes cassées qui se sont soudées entres elles et sur la longueur, il avait dû être renversé par un véhicule. La plus marrante : un sillon de balle, de six centimètres, creusé sur le dessus du crâne.